La solitude de Stéphane au cirque du même nom

Jeudi 13 juillet 2000 : liaison Caruzzo – Castel di Verghio

Vingt-quatre heures
7h30 : Stéphane quitte le refuge pour tenter de traverser le cirque de la solitude en compagnie de nos deux nouveaux compagnons de route, Patrice et Christophe ; le point de ralliement est fixé à Castel di Verghio, deux étapes plus loin (4 & 5), pour le lendemain matin 8h30… De notre côté, nous quittons Asco (départ de l’étape 4) pour rejoindre Castel di Verghio (arrivée de l’étape 5) en car dans la matinée. Installation des tentes ; balade bucolique, cascade et bergerie pour les garçons, lessive et déménagement en urgence des tentes pour les filles à cause des cochons ! Arrivée en direct du bar de l’arrivée de l’étape du tour de France au Ventoux : Pantani renaît de ses cendres. Repas et nuit en bivouac dans l’enclos (à l’abri des cochons sauvages !)

Au réveil, la beauté des sommets enneigés sous le soleil...

Au réveil, la beauté des sommets enneigés sous le soleil…

Météo
Grand beau temps, ciel bleu et environ 15° le matin à Asco ; après-midi ensoleillé avec passages nuageux. Vent frais. Grand beau temps sur le cirque aussi, évidemment…

Le fait du jour
Nous ne verrons pas le Cirque de la Solitude – Au bout de longues discussions passionnées et après un appel à la prudence de la gendarmerie qui recommande de ne pas s’élancer sur l’étape (risques de neige et de verglas pouvant rendre la traversée du cirque dangereuse), chacun livre son sentiment : Stéphane veut absolument voir de quoi il retourne sur place et juger par lui-même du danger éventuel (« J’irai au bout de mes rêves… ») ; plus circonspect, Julien préfère ne pas « tenter le diable » et refuse de s’engager – mais je vois sur son visage que ce sage renoncement lui coûte ! Alex et Stéphanie, « courageuses mais pas téméraires » n’iront pas non plus ; quant à Gérald et moi, nous nous rallions au sentiment de prudence général. Depuis notre arrivée la veille au soir, tout a été dit sur cette étape (« dangereuse », « le moment le plus fort du GR », « plus proche de l’escalade que de la randonnée », « plus spectaculaire que difficile »…) et le choix est difficile pour chaque randonneur présent dans le refuge ! Ne pas y aller, c’est risquer d’avoir des regrets, le pire de tout… mais les conditions météo sont tellement défavorables, comment espérer passer là où tant de randonneurs expérimentés ont dû rebrousser chemin ? Tous ceux qui renoncent le font avec un énorme pincement au cœur, et si personnellement je n’en fais pas une maladie, je regrette de ne pas avoir la chance de voir ce site exceptionnel et d’amputer mon raid sur le GR 20 de son étape la plus spectaculaire…

L’étape

Un trio à l'assaut du cirque

Un trio à l’assaut du cirque

Débrayage… pas pour tout le monde – Nos chemins se séparent pour la première fois : Stéphane part à l’assaut du cirque avec Christophe et Patrice en nous donnant rendez-vous le lendemain matin ; il projette en effet de parcourir une étape et demi ce jeudi et de terminer sa demi-étape en partant très tôt le vendredi matin, pour nous retrouver au bivouac de Castel di Verghio. De notre côté, malgré une organisation laborieuse, nous rejoignons Verghio dans la matinée après un splendide et spectaculaire trajet en car sur les petites routes montagneuses.
Vers 19h30, alors que nous passons à table dans le refuge, se produit l’inattendu : Stéphane et ses deux compagnons de route font une entrée triomphale ! En une journée, ils viennent d’avaler deux étapes du GR (!), soit près de onze heures de marche effective – et 1600 mètres de dénivelé – après avoir vaincu notamment le terrible cirque de la solitude dans des conditions météo finalement favorables. La joie de Stéphane fait plaisir à voir, surtout qu’il semble à peine éprouvé par l’exploit qu’il vient d’accomplir…

Humeur…
Du bonheur d’apprendre à marcher« On peut apprendre de nouvelles choses à tout âge » : en cet après-midi de balade tranquille à travers la forêt des alentours de Verghio, je repense à cette phrase inscrite sur la porte d’une classe de mon école. Moi-même, meurtri par trois journées éprouvantes ayant mis mes articulations et mes petits muscles à rude épreuve, j’ai l’impression d’être en train d’apprendre à marcher. Eh ! oui, on ne se déplace pas sur un chemin de grande randonnée de la même manière que dans la rue… Une semaine plus tard, à Calvi, un immense sourire m’envahit le visage à la lecture d’un passage de mon bouquin de vacances :

Leur allure n’avait pas varié au cours de l’ascension : c’était toujours cette longue et souple foulée accompagnée par une flexion du genou, foulée qui paraît lente au débutant pressé d’arriver – comme si la lutte avec la montagne tolérait l’impatience ! – et qui est cependant si bien réglée qu’elle permet de marcher des heures et des heures sans sentir la fatigue. (Roger Frison-Roche, premier de cordée)…

… livre de circonstances certes, mais surtout énorme coïncidence !

Les sommets autour entre Asco et le col de Verghio

Les sommets autour entre Asco et le col de Verghio

Cet après-midi-là, j’apprends en effet la valeur de ces petits pas réguliers, de ces courtes enjambées toniques qui permettent d’avancer sans grimacer pendant des heures. Je comprends désormais pourquoi je souffre beaucoup plus que Julien ou Stéphane, plus expérimentés, plus sages et plus habitués que moi à gérer leurs efforts au cours d’une telle aventure… Et puis, quand on oublie la douleur, quel bonheur de marcher ! On peut alors vraiment apprécier chaque moment de sa randonnée… Les moments collectifs, lorsque le groupe avance ensemble au rythme des conneries – plus rarement des discussions sérieuses – débitées immanquablement par l’un ou par l’autre ; lorsque l’on redémarre tous ensemble d’un même pas après un rassemblement ; lorsque l’on éprouve le sentiment d’appartenir à ce groupe, lorsque l’on se sent accompagné, soutenu, encouragé, et vraiment considéré par ceux qui marchent à vos côtés… Mais aussi les moments de marche solitaire, lorsque chacun avance son rythme, cherchant ses pas, ses appuis et ses repères ; ces moments où l’on oublie tout, la fatigue, la lassitude occasionnelle, la soif, le poids du sac… Ces moments où l’on oublie même que l’on marche pour mieux se perdre un peu au fond de soi-même : d’une pensée, d’un souvenir, tout s’enchaîne à l’intérieur. On est seul avec soi, et on y est bien. C’est dans ces moments-là, si rares et si précieux, que naissent dans mon esprit rêves, résolutions et projets de vie… Dans ces moments-là aussi que s’allument les idées de ce journal ! Ah, s’il m’était possible de conserver une trace écrite de toutes les pensées lyriques qui me viennent en même temps que mes pas s’enchaînent…

Brèves rencontres
Ce n’est pas à un vieux corse qu’on apprend à faire la grimace… – Pas commode, le chauffeur du car qui nous emmène d’Asco à Verghio. Vite énervé par l’organisation un peu bordelique (sic) de notre déplacement, il remet d’un regard un touriste à sa place qui avait osé lui répondre. Tout près de l’arrivée, il stoppe le car et décide d’une pause pour aller se prendre un café et fumer une cigarette…
Encore plus rustre et carrément désagréable, le patron de l’hôtel et du refuge de Castel di Verghio. Ne surtout pas lui demander le moindre renseignement, il vous envoie bouler avant même d’avoir terminé votre question ! Face à de telles attitudes, on apprécie d’autant plus la disponibilité et la gentillesse du vieux berger corse à qui nous achetons du fromage à la bergerie de Radule. Nous sommes d’ailleurs tellement surpris que nous manquons de partir sans payer, avant qu’il ne nous rappelle avec un accent local inimitable : « Et alors, c’est qui qui me donne l’argent ?… »

En vrac

Cochon corse

Cochon corse

Le paradoxe du cochon – Pendant que nous sommes en balade, Stéphanie et Alex déménagent les deux tentes et toutes nos affaires pour s’installer dans la zone de bivouac délimitée par un enclos. Raison invoquée, les cochons sauvages sont tellement attirés par la nourriture qu’ils détruisent tout ce qui les sépare de leur objectif : chaussures, tentes, sacs à dos… Il est donc plus prudent de s’installer dans ce parc où les cochons en liberté ne viendront pas nous importuner. Ce qui amènera à Gérald cette réflexion pleine de bon sens : « C’est vraiment un monde à part la Corse… D’habitude ce sont les animaux qui sont enfermés, ici c’est le contraire : les cochons sont en pleine liberté et c’est nous qui sommes parqués ! »

Pascalet ? – La gentille dame qui s’est chargée de l’organisation du déplacement en car est dépassée par tout. Après nous avoir inscrit sur sa liste, nous sommes désormais de trop et elle insiste pour que nous descendions : « Pascalet, cinq personnes, il va falloir descendre… Qui est Pascalet ? » Euh… non, c’est Pacalet m’dame ! Et puis flûte, on est inscrits, on reste ! De toutes façons, le Juju « Pascalet » n’a pas vraiment l’air d’être disposé à descendre…

Un petit coin de paradis… – En ce jour de break, les filles se mettent au repos complet tandis que Julien, Gérald et moi nous offrons une petite balade – sans sac à dos, le bonheur – dans la forêt qui entoure le refuge. En haut du col de Verghio, nous croisons Jésus (enfin, sa statue ! « Aimez-vous les uns les autres… »), ainsi que quelques cochons en vadrouille.

Nous remontons le GR vers la bergerie et les cascades de Radule. Ces dernières sont d’une beauté exceptionnelle, et cet endroit de rêve invite inévitablement à la baignade… La température de l’eau ne doit pas dépasser les 10° mais Juju et moi nous offrons un plongeon vivifiant pendant que Gérald immortalise l’instant avec mon appareil. Y’a rien là ?!

Fromages corses – Impossible de passer devant une bergerie sans échapper aux odeurs qui l’entourent… Celle des crottes de brebis bien sûr mais aussi et surtout celles des fromages corses dont la réputation n’est plus à faire. Nous nous laissons tenter par un fromage de brebis (« brosciu »), qui ne fera pas long feu au repas du soir !

Une histoire de fromage corse

Une histoire de fromage corse

Leonardo speaking – A Castel di Verghio, ancienne station de ski et lieu de passage touristique, nous reprenons contact avec la civilisation. Presque dommage, puisque mes acolytes sont tout heureux de constater que le signal de leur portable passe à nouveau après quatre jours de néant, et se raccrochent en une seconde à leur univers quotidien… On était si bien là dans la montagne corse, loin de tout, coupé du monde ! Finalement, je craque moi aussi et je passe un petit coup de fil à ma maman ainsi qu’à Véro pour son anniversaire. Il faut dire que Stéphane bénéficie du forfait SFR Millenium (appels gratuits vers un fixe après 20 heures) et qu’il propose son portable à qui veut l’utiliser. Enfin… quand il n’est pas lui-même pendu au téléphone !

Pétards mouillés pour la fête nationale

« Quand te reverrai-je, pays merveilleux… »

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