(…) Ce qu’il faut retenir, c’est l’importance de mettre ses gros cailloux en premier dans sa vie, sinon on risque de ne pas réussir… sa vie. Si on donne priorité aux peccadilles (le gravier, le sable), on remplira sa vie de peccadilles et on n’aura plus suffisamment de temps précieux à consacrer aux éléments importants de sa vie. (Les gros cailloux)
J’ai commencé à recenser et à ranger mes gros cailloux il y a quelques années… à la fin du siècle dernier (en 1999 !). J’avais 26 ans. Je n’étais plus vraiment un enfant, ni tout-à-fait un adulte. J’étais entre le monde étudiant et la vie professionnelle. Entre deux histoires d’amour aussi…
Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si c’est arrivé dans une période d’intense radioactivité, pendant laquelle le cœur s’était mis à vibrer vraiment, accélérant en même temps ses battements et le rythme de ma vie… Il y a eu un voyage, et une rencontre, qui ont fait basculer ma vie sentimentale – en bousculant nombre de mes repères. Au même moment, d’autres certitudes volaient en éclat alors que j’effectuais mes premiers pas dans le métier d’enseignant. A ce moment-là, je me sentais en même temps plus vivant… et plus paumé que jamais – ou le contraire. Fragile, en tout cas.
Alors un soir d’hiver, en plein mois doute, j’ai appelé à l’aide, et j’ai reçu en retour ce texte fantastique qui a chambouleversé mon existence (oui, rien que ça : il l’a chamboulée ET bouleversée). Un texte qui m’a invité à me recentrer, à me retrouver, à explorer ce qui avait de l’importance dans ma vie… et qui, au final, m’a permis de me “recommencer”, de me réinventer et de me dépasser.
Ce site est né des turbulences et des incertitudes de cette période, d’un besoin créatif de faire le tri et de mettre en mots un certain nombre d’idées, d’émotions, de questions, d’envies, de rêves… et de priorités.
Et donc, quelques années plus tard… voilà quelques gros cailloux que je crois avoir bien identifiés.
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Gros caillou #1 : les autres
“Les autres sont, au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes.” C’est Jean-Paul Sartre qui le dit pour expliquer sa célèbre phrase si mal comprise : “L’enfer, c’est les autres.”
Ah, ces autres sans lesquels je serais si peu moi ! J’ai appris avec Rilke l’importance de la solitude (“aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne – c’est à cela qu’il faut parvenir“). Mais je sais aussi depuis longtemps que si je sais rester seul, je ne suis pas un homme d’aventure individuelle… Depuis toujours, je ne me sens bien et ne sais m’épanouir que dans les aventures collectives : celles d’une famille, d’une équipe, d’une association, d’un groupe — d’un couple aussi ! C’est avec les autres, par les autres et grâce aux autres que je satisfais le besoin viscéral d’échange et de partage qui m’anime.
…Un proverbe de la tradition africaine dit : “L’ignorant, c’est la personne qui n’est jamais allée au-delà du seuil de sa maison.” C’est la personne qui ne sait rien des autres, qui n’est jamais allée à la rencontre des autres. La progression de l’être vers le meilleur, c’est chaque jour aller à la rencontre d’une des diverses personnes que l’on a en soi et que l’on ne peut trouver que dans les autres, notamment à travers leurs cultures, histoires, mythes et légendes. Cette voie est celle de l’enrichissement, et je suis un élève apprenti. (Sotigui Kouyaté, griot et homme de théâtre malien)
J’ai eu la chance de grandir dans une famille unie qui entretient et nourrit ses liens à travers des rassemblements réguliers. J’ai aussi eu la chance de vivre des aventures humaines fabuleuses, en intégrant des groupes d’horizons multiples (équipes d’animation, équipes d’écoles, clubs de basket, associations, troupe d’impro, mouvement pédagogique…). Et je sais que je me suis construit à travers ces rencontres, ces échanges, ces instants de vécu collectif.
On peut me dire sans rémission
Qu’en groupe en ligue en procession
On a l’intelligence bête
Je n’ai qu’une consolation
C’est qu’on peut être seul et con
Et que dans ce cas on le reste
(Jean Ferrat)
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Gros caillou #2 : les mots
Il y a ceux qui m’ont touché au détour d’une lecture (roman, pièce de théâtre, texte “profond”, ou encore les paroles d’une chanson, un article de presse, une citation…), et qui m’ont permis de m’interroger, de grandir émotionnellement, de mieux comprendre le monde et les autres. Il y a aussi ceux qui sont nés sous ma plume – ou mon clavier, au travers de récits, de poèmes, de lettres, ou d’articles de blog, qui m’ont permis de traduire ce que je ressens, ce qui m’importe, ce qui m’anime et me brûle…
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire, mon petit :
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
(Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac – acte II, scène VIII)
Les mots me nourrissent encore aujourd’hui… Je lis, je relis, j’écoute, je note, j’écris (moins souvent, mais toujours avec le même plaisir), je publie. Et parfois… je vais même faire sonner les mots sur scène. Les mots ont une force, les mots sont une force !
Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. (Stig Dagerman, extrait de Notre besoin de consolation est impossible à rassasier)
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Gros caillou #3 : ce qui est vrai
J’aime ce qui est vrai. Ce qui est spontané, sincère, vivant, naturel, imparfait. Ce qui parle à l’intime, ce qui respire, ce qui réveille tous les sens, ce qui suscite des palpitations et provoque des réactions « épidermiques ».
Épidermique ? C’est l’émotion. C’est ce que tu ne peux pas, ce qu’il ne FAUT pas raisonner – Eric Beugnot
L’émotion naît de la vérité, et la vérité se fout des apparences. Pour moi la vraie vie se rencontre sans fard, sans costume, sans filtre. Je n’aime ni les émotions altérées ni les vérités déformées que véhiculent pêle-mêle Photoshop et la publicité, la télé-réalité et l’info continue, la bourse et les lobbys… Je ne supporte définitivement pas les milieux convenus et formatés, dans lesquels se déroule l’immense bal des faux-culs, des prétentieux, des arrogants et des gens trop sûrs d’eux.
J’aime les paysages bruts, “des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche” — en passant par les Calanques, des sommets enneigés au désert immaculé. J’aime les engagements vrais et le courage de ceux qui portent des combats sincères, en cohérence avec la richesse d’une vie simple, ouverte et généreuse. J’aime les expressions pures et les réactions justes de tous ceux qui ont su conserver une part d’enfance — à commencer par les enfants ! —, des artistes de tous les univers, des résistants en lutte…
— Je cherche ta flamme, Antoine ! Certains hommes sont vivants. Ils se dressent ! D’autres sont morts pour le genre humain. Certains sont vrais. D’autres sont imaginés. De quelle espèce es-tu ? (Jean Vautrin, Le cri du peuple)
Les autres, les mots, ce qui est vrai…
Trois gros cailloux,
trois essentiels de ma vie aujourd’hui,
trois piliers qui inspirent également mes actes au quotidien,
et que tentent de relier entre eux tous les écrits de ce site.